Cathy Ceïbe
Jeudi, 25 Août, 2016
L'Humanité
C’est aujourd’hui que s’ouvre à Brasilia, au sein du Sénat, le procès
pour destitution de la présidente de gauche, qui assurera sa défense lundi.
Pour les forces démocratiques, la vacuité des accusations à l’origine de son
éviction temporaire est la preuve d’un coup d’État institutionnel. Verdict le 31 août.
Dilma Rousseff ne
craint pas l’affrontement. « Je n’ai jamais eu peur de cela. J’ai enduré des
tensions bien pires dans ma vie. C’est un exercice de la démocratie. » Il y a un demi-siècle, l’ancienne guérillera,
emprisonnée et torturée durant la dictature (1964-1985), avait affronté ses
bourreaux sans vaciller. Aujourd’hui, le contexte est tout autre mais
l’adversité n’en est pas moins terrible. C’est aujourd’hui que s’ouvre à
Brasilia, au sein du Sénat, le procès très politique pour destitution de la
cheffe de l’État, après des mois de crise institutionnelle qui ont parfois viré
à une grotesque pantalonnade. La présidente se défendra lundi devant une chambre
haute qui, le 12 mai, l’a déjà écartée de manière temporaire du palais du
Planalto. Mais quelle est la crédibilité de ces parlementaires dont la plupart
ont maille à partir avec la justice pour des affaires de corruption ?
L’opposition de droite cherche à évincer la gauche en usant de tous les prétextes,
faute d’y être parvenue dans les urnes depuis quatorze ans.
Dilma Rousseff
connaîtra-t-elle le même sort que les présidents hondurien Manuel Zelaya et
paraguayen Fernando Lugo, victimes de coups d’État parlementaires en 2009 et
2012 ? Tour à tour, détracteurs et partisans de la dirigeante du Parti des
travailleurs (PT – gauche) se succéderont à partir d’aujourd’hui à la tribune
du Sénat transformée pour l’occasion en un tribunal présidé par la Cour
suprême. La cheffe de l’État a indiqué qu’elle assurera
elle-même, lundi, sa défense lors de son procès pour destitution, dont le
verdict est attendu le 31 août. Un procès très politique, inédit dans
l’histoire de ce pays continent. « Résistons tous ensemble », a exhorté mardi
la présidente devant des militants réunis à São Paulo. « J’ai lutté toute ma
vie : contre la torture, contre un cancer… Et je vais me battre maintenant contre toute injustice », a-t-elle
assuré.
Quelques heures plus tard, la Cour suprême opposait une fin de
non-recevoir au recours déposé par ses avocats visant à annuler le vote des
sénateurs du 10 août, qui a ouvert la voie à son jugement, après l’avoir
suspendue deux mois auparavant de sa fonction. « Ce que nous avons appris avec
tout cela, c’est que la démocratie n’est pas garantie, comme nous le pensions,
nous devons toujours être en alerte pour ne pas perdre ce que nous avons gagné
», a-t-elle commenté, en allusion à la fragilité du régime, dont les
institutions parlementaires sont minées par la corruption. À maintes reprises,
elle a qualifié son éviction de coup d’État institutionnel.
Rien n’a été
épargné à l’ex-guérillera, élue en 2010 à la tête de la huitième puissance
économique mondiale et réélue haut la main à l’automne 2014. L’opposition, qui
n’a eu de cesse de contester son leadership sans parvenir à ses fins, s’est
lancée dans une entreprise de discrédit. Dans un premier temps, les forces de
droite ont cherché à l’impliquer dans le vaste scandale de corruption du géant
pétrolier Petrobras, qui éclabousse des dirigeants politiques, toutes couleurs
confondues.
Aucune preuve de
corruption contre la cheffe de l’État n’a été présentée
Ce n’est pas la
première fois que la réaction se livre à ce genre de machination. « À chaque
essai de réduction des inégalités sociales entre riches et pauvres, les classes
dominantes ont réagi de manière violente. Dans les années 1950, des accusations
de corruption ont mené le président Getulio Vargas au suicide (...) avant
d’être démenties après sa mort. Outre les dizaines de lois que Vargas avait
approuvées en faveur des travailleurs, les capitalistes brésiliens ne lui ont
pas pardonné la création de Petrobras et l’institution du monopole étatique,
rappelle l’universitaire João Oliveira, spécialiste du Brésil. En 1964, dans un
contexte semblable à celui qui secoue le pays actuellement, les militaires ont
réussi à destituer le président João Goulart, accusé de corruption. (...) En
réalité, les conservateurs n’avaient jamais apprécié l’augmentation de 100 % du
salaire minimum proposée en 1954 par Goulart, alors qu’il était ministre du
Travail de Vargas. »
Jusqu’ici, aucune
preuve compromettant la cheffe de l’État n’a été présentée. Mais l’idée a gagné
du terrain grâce aux campagnes des grands monopoles médiatiques. La droite,
mais surtout les anciens alliés gouvernementaux du PT comme le Parti du
mouvement démocratique brésilien (PMDB) de Michel Temer, qui assure désormais
la présidence par intérim, ont entrepris d’achever Dilma Rousseff, en
l’accusant de « crime de responsabilité ». Ils lui reprochent un « pédalage
fiscal », jonglage budgétaire auquel elle se serait livrée en 2014 en
transférant de l’argent d’un ministère à un autre afin que les dépenses
publiques apparaissent équilibrées. Cette irrégularité ne relève en rien d’un
crime de responsabilité, d’après de nombreux juristes. Un rapport rédigé en
juin par trois experts du Sénat pour le compte de la commission spéciale
chargée du processus de destitution de Rousseff souligne d’ailleurs que la
présidente ne serait pas responsable, de manière directe ni même indirecte, du
« pédalage fiscal » qui lui est reproché. Ses prédécesseurs qui ont eu recours
à ce mécanisme comptable n’ont jamais été inquiétés par la justice. Pas plus
que les onze gouverneurs actuellement en exercice familiers de cette pratique, comme
Antonio Anastasia, de l’État du Minas Gerais et rapporteur de la commission
sénatoriale à charge contre la dirigeante de gauche. Tout sent la cabale
politique contre Dilma Rousseff et à travers elle, contre la gauche.
Quarante-huit députés se sont déjà déclarés favorables à sa destitution.
Dix-neuf autres défendent son maintien. Pour qu’elle soit définitivement
écartée du pouvoir, 54 voix seront nécessaires au sein d’une chambre haute
dominée par l’opposition.
Dès le début de la
crise politique, la présidente brésilienne a reçu le soutien de la plupart de
ses homologues latino-américains. À Paris, en revanche, toujours aucune
réaction. Le 29 juillet dernier, des parlementaires de gauche adressaient au
chef de la diplomatie, Jean-Marc Ayrault, une lettre demandant à la France de «
soutenir les forces démocratiques afin d’éviter que ce pays ne replonge dans
des années noires qui ont tant fait souffrir le peuple brésilien ». Le silence
reste assourdissant.
L’Organisation
des États Américains demande des comptes aux sénateurs brésiliens
La validité, ou non
d’ailleurs, du processus de destitution à l’encontre de la présidente Dilma
Rousseff est scrutée à la loupe par l’Organisation des États américains (OEA).
Cet organisme que l’on ne peut accuser d’accointances avec la gauche de ce
continent a demandé des garanties au Congrès. Il a exigé des sénateurs à
l’origine de l’éventuelle éviction de la cheffe de l’État, par le truchement de
la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), de vérifier si le
mécanisme respectait les textes constitutionnels. Le Congrès a aussitôt
répliqué que la Constitution était respectée, mais sans autre détail.